Dialogue inter-Maliens : l’absence de communication en langue de signes crée l’exclusion des personnes malentendantes
Entre avril et mai dernier, les plus hautes autorités du Mali ont initié le dialogue inter-Maliens pour la paix et de la réconciliation nationale. Une occasion pour les uns et les autres de donner leurs points de vue à travers des échanges. Mais malheureusement une partie de la population, notamment, les personnes malentendantes se disent mises en à l’écart par la non interprétation des échanges en langue des signes.
« Sur les près de 63 326 personnes malentendantes au Mali, 80% ignoraient l’existence de ce dialogue. Les 5% des 20% qui sont des sourds intellectuels l’ont appris à travers les journaux écrits et les restes 15%, grâce aux informations que nous partageons via leurs groupes WhatsApp » a regretté le président de l’Association des interprètes en langue de signes, M. Moussa Keïta. Et d’ajouter « je dirais qu’ils n’ont pas été choqués de n’être pas été associés vu que même le discours à la nation du Président de la République ne leur est pas accessible ».
C’est dire que durant tout le processus du Dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation nationale, de la mise en place du Comité de pilotage à la phase des recommandations, les personnes malentendantes étaient quasiment absentes. Cette couche minoritaire de Maliens n’a pu, non seulement s’exprimer à ce grand rendez-vous, mais n’a pu non plus être également entendue à cause de l’absence de dispositifs formels de communication en langue de signes conformément à la loi O27 du 18 juin 2018, relative à la protection et promotion des droits des personnes handicapées et à son décret d’application.
Présent pour la phase nationale du Dialogue le 6 mai au Centre international de conférences de Bamako où s’est tenu l’évènement, le président de l’Association Malienne des Sourds (AMASSOUDRS) M. Famory Konaté dira que « ma participation a été de la simple figuration sans interprète au CICB ». M. Konaté a par ailleurs précisé que c’est lors de la réunion du 26 Avril au siège de la FEMAPH que l’interprète était invité. Chose qui ne pouvait nullement couvrir l’ensemble du processus du Dialogue. Le président de l’AMASSOURDS pense que « la reconnaissance officielle de la langue des signes comme langue maternelle des personnes sourdes est une priorité toujours ignorée au Mali».
Rokiatou MAÏGA, Chef de projet de l’association Malienne des Sourds, également trésorière adjointe de la même association, nous précise que les associations n’ont pas participé individuellement au dialogue. Selon elle, les personnes malentendantes ont joint leur voix à celle de la fédération des associations des personnes handicapées (FEMAPH) pour les premières phases du dialogue. Mais elles étaient bien présententes pour la phase nationale du dialogue le 6 au Mai au CICB, même s’il n’y avait pas un dispositif formel pour la traduction en langue des signes pour eux. Rokiatou MAÏGA et son président Famory Konaté ont recommandé l’application de la loi 027 du 18 juin 2018 relative à la loi de protection sociale des Personnes handicapées en général. « J’ai personnellement proposé comme recommandation, l’application de la loi de protection sociale qui changera beaucoup comme la jouissance de nos droits notre épanouissement et notre autonomisation » a indiqué le président de AMASSOURDS. Famory Konaté a par ailleurs manifesté sa surprise que cette recommandation phare pour les personnes handicapées en général ne soit prise en compte dans les recommandations du dialogue au même titre que la Loi n°2015-052 du 18 décembre 2015, instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives.
La nécessité d’influencer plus
Interrogé sur la question, le Pr Issa Sacko, universitaire et ancien membre du comité de pilotage du dialogue inter-Maliens a indiqué que le comité n’avait aucune influence sur les recommandations faites par les participants. A ses dires, les participants ont formulé des recommandations selon l’importance et la pertinence d’un sujet sous leur angle de vue. Pour lui, la malchance des personnes malentendantes a été de n’avoir pas été assez éloquentes pour porter très haut leurs messages.
Une thèse appuyée par le juriste Ousmane Keita, Enseignant chercheur à la FSAP (doctorat en relations internationales), qui souligne que dans l’élaboration de politiques publiques d’un Etat, qui n’est pas une question de droit, chaque acteur essaie d’influencer le plus possible le processus en sa faveur. Cela pour que son intérêt soit pris en compte. Pour y parvenir, selon M. Keïta, les personnes malentendantes doivent s’organiser encore plus en associations et regroupements plus forts et solides.
A noter que l’Etat du Mali, dans le cadre de la mise en œuvre effective des différentes conventions ratifiées sur la question de l’inclusion, la protection, la promotion des personnes en situation de handicap, a adopté et promulgué la Loi n° 2018-027 du 12 juin 2018 relative aux droits des personnes vivant avec un handicap. Un décret fixant les modalités d’application de cette loi a été même adopté en Conseil des Ministres en septembre 2021.
Issa Djiguiba
« Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali et NED ».