30 ans de la démocratie malienne : Regards croisés entre Tiébilé Dramé, Moustaph Dicko et Dr Choguel Kokalla Maïga
Le groupe Renouveau a, à l’occasion du trentenaire de la démocratie malienne, organisé un débat entre des acteurs politiques dont Tiébilé Dramé, président du Parena ; Moustaph Dicko de l’Adema, tous deux acteurs du mouvement démocratique ; et Dr Choguel Kokalla Maïga, président du MPR et défenseur de l’UDPM. Si les deux premiers s’appuient sur les acquis des 30 années de démocratie au Mali et piétinent le bilan du dictateur Moussa Traoré, le président du MPR, lui, trouve que les maux se sont aggravés sous la démocratie.
26 mars 1991-26 mars 2021, la démocratie malienne a trente ans. Trois Présidents : Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani et Ibrahim Boubacar Keita ont été démocratiquement élus. Deux coups d’États sont connus pendant ces 30 ans : en 2012 et 2020.
Les revendications phares du combat pour l’avènement de la démocratie sont-elles, 30 ans après, un acquis de nos jours ? Les libertés collectives et individuelles sont-elles garanties ? Les problèmes de l’école, d’emplois, de la corruption, de la sécurité sont-ils résolus sous la démocratie ? Ces questions divisent les acteurs politiques. Si certains se félicitent du bilan des 30 ans de démocratie, d’autres expriment leur déception.
Ce que signifie le 26 mars 1991
Un des acteurs majeurs du mouvement démocratique, le président du Parena, Tiébilé Dramé qualifie le 26 mars 1991 comme «la victoire du peuple malien, l’aboutissement d’une longue quête de libertés et de démocratie, la victoire de tout un peuple debout pour passer à une nouvelle étape, la jouissance des libertés démocratiques, individuelles et collectives ». Cette vision de Tiébilé Dramé est partagée par le professeur Moustaph Dicko, lui aussi, acteur du mouvement démocratique et membre de l’Adema. Selon ces deux leaders politiques, le 26 mars signifie la fin du pouvoir d’un seul homme et du parti unique. Elle est, à leurs dires, le début du pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Dr Choguel Kokalla Maïga ne partage pas l’avis de Tiébilé Dramé et de Moustaph Dicko. Selon lui, en mars 1991 déjà, les principales libertés fondamentales étaient restaurées : liberté de culte, liberté d’associations, liberté d’entreprises, liberté de presse, la liberté de militer dans une presse. Il restait l’unicité du parti de la constitution. Aussi, argumente-t-il, les retards de salaire ont été résorbés. Selon lui, ce qui a échoué, c’est le virage pour aller dans le multipartisme. La raison de cet échec, trouve-t-il, est due à une mauvaise négociation de la démocratie. « On a fait le mauvais diagnostic après mars 1991 », a-t-il déclaré comme pour dénoncer la manipulation de la population par les acteurs du mouvement démocratique.
Les acquis des 30 années de démocratie
Selon Tiébilé Dramé et Moustaph Dicko, les libertés individuelles et collectives sont l’un des acquis majeurs de la démocratie au Mali. Pour le président du Parena, sous le régime dictatorial de Moussa Traoré, des détenus sont morts en prison. « Des hommes politiques de ce pays ont été détenus dans les conditions déshumanisantes à Taoudeni » dit-il avant d’ajouter que le régime Moussa Traoré était incapable d’assurer les droits humains. Selon l’ancien ministre des Affaires Étrangères et de la Coopération internationale, le bilan de la démocratie est appréciable. « J’assume le bilan du mouvement démocratique. Depuis 1991, il y a une centaine de lycées construits. De 1960 à 1991, il y en avait que 18. Sous le régime de l’UDPM, les instituts de formation de maîtres ont été fermés », a entonné Tiébilé Dramé. Sa position est soutenue par Moustaph Dicko qui trouve que le mouvement démocratique a beaucoup fait dans le domaine de l’éducation, de la sécurité. A ses dires, sous le régime de Moussa Traoré, « Les conditions de vie et de travail des enseignants étaient exécrables ». Quant au mouvement démocratique, il a, selon le professeur Dicko, a construit plus d’écoles, formé plus de maîtres, construit plus d’internats, résolu le problème du retard des salaires des enseignants.
Pour Tiébilé Dramé, le multipartisme est aussi également le fruit du combat des acteurs du 26 mars 1991.
Dr Choguel Kokalla Maïga déçu du bilan des 30 ans de démocratie
Si Tiébilé Dramé et Moustaph Dicko se sont beaucoup focalisés sur les acquis du mouvement démocratique, le président du MPR, lui, se focalise sur l’échec des 30 ans de démocratie au Mali. Pour lui, les résultats obtenus ont été en deçà des attentes. « Lorsque les gens sont sortis en mars 1991, en dehors du multipartisme, on demandait de l’emploi pour les jeunes. Est-ce que les jeunes sont employés aujourd’hui ? On demandait la lutte contre la corruption, le « Kokadjè » ; est ce que la corruption n’a pas pris de l’ascenseur aujourd’hui ? On demandait plus de justice sociale ; aujourd’hui, il n’y en a pas. Et pire, nous avons perdu notre État, nous avons perdu notre armée. Notre école est la dernière de la sous-région. L’État s’est déstructuré. On est en situation de guerre civile. Le Mali a perdu sa souveraineté », a-t-il fait le bilan sombre de la démocratie au Mali. Le président du MPR n’en décolère pas et ajoute : « Les acquis sont largement en deçà des attentes. On a désarticulé l’État, on a détruit l’État, on a désorganisé la société ».
Ce qu’il faut faire pour la refondation de l’État
Même au niveau des propositions de sortie de crise, Tiébilé Dramé et Choguel sont opposés. Si le président du Parena trouve qu’il faut faire recours aux recommandations du Dialogue national Inclusif, le président du MPR trouve le contraire. Selon Choguel, le DNI est beaucoup plus administrative. Les participants sont, selon lui, choisis par les gouvernants. Ce qui exclut, à ses yeux, les citoyens. Donc pour lui, pour une sortie de crise rapide au Mali, il faut une assise nationale de refondation de l’État. Toutes les composantes de la société malienne vont prendre part à cette assise. Il recommande de « de faire le bon diagnostic des crises, de tourner la page et concentrer sur l’avenir ». Aussi, propose le président du MPR, il faut reconstruire l’armée, l’école, recoudre le tissu social à travers les assises de la refondation de l’État
Par ailleurs, tous les trois invités du groupe renouveau ont insisté, dans leurs propositions, sur l’union sacrée des Maliens, le soutien à l’armée.
Boureima Guindo