
Au Mali, la planification familiale demeure l’un des piliers pour améliorer la santé maternelle et infantile et soutenir le développement socio-économique. Pourtant, l’adoption des méthodes modernes de contraception reste faible. Derrière ce constat, ce ne sont pas seulement les difficultés d’accès aux services de santé qui posent problème mais plutôt les fausses informations et les rumeurs qui continuent de semer le doute et la méfiance dans les communautés…
« J’ai entendu dire que la pilule rend stérile, alors je n’ose pas l’utiliser. »
« On dit que les injections empêchent d’avoir des enfants plus tard. »
Ces croyances sont courantes et dissuadent de nombreuses femmes d’adopter des méthodes contraceptives modernes.
UNFPA souligne que les fausses croyances, les rumeurs et la désinformation constituent un obstacle majeur à l’adoption des méthodes contraceptives dans le monde, notamment dans des régions comme l’Afrique subsaharienne.
Selon le rapport de Mali Médical, l’utilisation des contraceptives a augmenté dans de nombreux pays contrairement au Mali. Ainsi, au niveau mondial, elle est passée de 55% en 2000 à 57,1% en 2019. Au Mali, la prévalence contraceptive qui était de 10% en 2013. Et selon, PF 2030, elle était de 6 % en 2012 et 16 % en 2018. 22 % en 2023, selon l’Office National de la Santé de la Reproduction (Onasr).
Malgré ces avancées, elles sont mal perçues. Motif : effets secondaires sur certaines femmes mais aussi les rumeurs persistantes sur la stérilité, le cancer ou encore les malformations, les interprétations religieuses erronées, les conseils non fondés sur les réseaux sociaux ou dans les communautés.
Ces fausses informations freinent l’adoption des méthodes modernes de PF, pourtant essentielles pour la santé maternelle, la réduction des grossesses non désirées et le développement socio-économique du pays…
Faible taux d’adoption
Malgré les efforts des autorités sanitaires et des partenaires internationaux, le Mali affiche un faible taux d’usage des méthodes modernes de contraception. Selon FP2030, seulement 18 à 19 % des femmes en âge de procréer utilisent une méthode moderne. Les jeunes, les femmes non scolarisées et celles vivant en milieu rural sont les plus touchées.
Globalement, 17 % de femmes de 15-49 ans en union utilisent une méthode quelconque de PF, 16 % utilisent une méthode moderne et 1 % utilise une méthode traditionnelle. Les méthodes les plus fréquemment utilisées sont les implants (7 %), les injectables (6 %) et la pilule (2 %). Les chiffres d’un rapport de synthèse de l’Enquête Démographique et de Santé,2018.
Le taux de fécondité au Mali est parmi les plus élevés au monde, avec une moyenne de 6,3 enfants par femme en 2018.
Ce chiffre est directement lié à la faible utilisation de la planification familiale. Dû aux rumeurs et informations sans sources fiables.
Une étude a montré que 13 % des femmes ayant arrêté d’utiliser la contraception l’ont fait en raison de rumeurs et mythes sur les effets secondaires. Ces rumeurs concernent notamment la peur de la stérilité, des maladies, ou des saignements excessifs.
L’un des points forts de la croyance de ces malinformation est les croyances religieuses. Une autre étude menée auprès d’hommes de médias à Bamako a révélé que 30 % d’entre eux citaient la religion comme raison de leur refus de la planification familiale, illustrant le poids des interprétations religieuses erronées. Révèle Mali Médical dans un apport sur Hommes de médias et la planification Familiale.
Le manque d’informations claires et de confiance dans les services de santé est un facteur prépondérant. Les campagnes de sensibilisation, bien que nécessaires, ont du mal à contrer les messages erronés qui circulent au sein des communautés.
Selon les données du Ministère de la Santé, le taux de prévalence contraceptive moderne reste inférieur à 20%.
Rumeurs plus fortes que l’information scientifique
Selon un agent de santé communautaire de la région, « Beaucoup de femmes refusent l’injection ou l’implant parce qu’elles croient qu’une fois mariées, elles ne pourront plus avoir d’enfants. La peur est plus forte que l’explication médicale. »
« On m’a dit que la pilule rend stérile », confie Aïssata, une jeune femme rencontrée dans le centre de santé communautaire, Famory Doumbia à Ségou. D’autres évoquent des effets secondaires graves, comme le cancer ou la folie. Ces rumeurs, souvent relayées dans les familles ou encore sur les réseaux sociaux, façonnent l’opinion publique et freinent la confiance dans les méthodes modernes
Ce qui fait que la planification familiale au Mali est encore prisonnière de rumeurs tenaces. Beaucoup croient, à tort, que les contraceptifs provoquent les saignements prolongés, les douleurs ou entraînent des malformations chez l’enfant. Ces craintes alimentées par l’entourage, certains leaders religieux ou les réseaux sociaux, prennent souvent le dessus sur la parole scientifique.
Malgré des services de santé accessibles, de nombreux couples préfèrent se fier au bouche-à-oreille plutôt qu’aux explications médicales.
Le programme des Enquêtes Démographiques et de Santé (DHS) indique que l’ignorance ou des idées fausses sur la contraception, ainsi que l’opposition des maris, sont des facteurs significatifs empêchant ou menant à l’abandon des méthodes contraceptives.
« Beaucoup de femmes viennent en consultation avec peur et hésitation. Elles ont entendu dire que l’implant pourrit le sang ou que la pilule fait grossir la femme. », témoigne K.D, une sage-femme dans au centre de santé et de référence, Famory Doumbia de la région de ségou.
Ces fausses informations sur ces méthodes ont des conséquences directes : grossesses non désirées, avortements clandestins, pression accrue sur les familles…
D’après nos recherches, cette désinformation véhiculée par des proches, des leaders religieux ou les réseaux sociaux, repose sur des effrois culturelles et un manque d’accès à des sources fiables ou encore des personnes généralisant un cas d’une femme ayant utilisée le contraceptif et qui n’a pas marché. Comme nous souligne Sanè N’Diaye, coordinatrice nationale de la communication de la santé de la reproduction, à l’ONASR lors d’un débat de Benbere-Benkan tenu dans le cadre du projet « Sini Sanuman » : « Environ 1% des utilisatrices auront des surprises auxquelles les méthodes contraceptives n’ont souvent pas d’explication. Si, l’on rend en public ce seul cas, les gens diront que les contraceptives sont mauvaises. »
Ousmane Traoré, marié à deux femmes et père de sept enfants, n’adhère pas à la planification familiale, pas plus qu’il n’y croit. « J’ai empêché mes femmes d’utiliser les méthodes contraceptives, parce que ces choses des blancs ne m’inspirent pas confiance. J’ai entendu dire que ça peut même stériliser la femme.», peut-on lire dans un billet de blog de benbere.
Cette méfiance et défiance face aux méthodes contraceptives, comme il est mentionné dans le plan d’action budgétisé de la planification familiale 2019-2023 du Mali, s’explique par le fait que les hommes sont insuffisamment informés. Ce qui fait qu’ils craignent les effets secondaires des méthodes.
Des initiatives pour rétablir la vérité
Face à ce défi, des initiatives émergent. L’État malien, à travers l’Office National de la Santé de la Reproduction (ONASR) et ses partenaires, multiplie les campagnes d’information et de sensibilisation. Des émissions radiophoniques en langues locales, des débats communautaires et des séances de communication de proximité sont organisés pour contrer les rumeurs.
Les initiatives innovantes incluent également l’utilisation des réseaux sociaux et des plateformes numériques pour toucher un public plus large, notamment les jeunes qui constituent une frange importante de la population malienne. Pour diffuser des messages fiables et contrer les rumeurs. De jeunes activistes, blogueurs, influents sur TikTok et Facebook et autres se mobilisent pour vulgariser les méthodes modernes et casser les mythes.
Briser le mur de la désinformation
Malgré ces efforts, briser le mur de la désinformation reste un combat de longue haleine. Pour inverser la tendance, il est nécessaire de renforcer la confiance entre les communautés et le système de santé. Cela passe par une meilleure formation des prestataires, une communication adaptée aux réalités culturelles locales et une plus grande implication des leaders religieux et traditionnels dans la promotion de la planification familiale.
En déconstruisant progressivement les fausses croyances et en donnant la parole à des personnes ayant bénéficié positivement des méthodes modernes, il devient possible de changer les perceptions. La lutte contre la désinformation n’est donc pas seulement un enjeu sanitaire, mais aussi un défi social et culturel majeur pour le Mali.
Pour de nombreux spécialistes, la lutte contre la désinformation doit être une priorité nationale. Elle nécessite une meilleure éducation sexuelle, une communication adaptée aux réalités locales et l’implication des hommes dans les décisions liées à la santé reproductive.
« Tant que la désinformation domine, les femmes ne pourront pas faire des choix éclairés », dit A. C, un médecin du Centre de santé communautaire de Ségou.
La désinformation et les rumeurs demeurent aujourd’hui les principaux freins à l’adoption des méthodes modernes de planification familiale au Mali. Briser ce mur est indispensable pour permettre aux femmes de faire des choix éclairés, protéger leur santé et offrir un avenir meilleur aux familles maliennes.
Rédaction : Fatoumata Z. COULIBALY