Tiéman Hubert Coulibaly, président de l’UDD, par rapport à la conduite des affaires de la transition : « Il faut concerter, préparer ensemble, inclure… »
Dans ce 1er numéro de notre rubrique « A vous la parole », une rubrique hebdomadaire, c’est au président de l’Union pour la Démocratie et le Développement (UDD), Tiéman Hubert Coulibaly que nous nous sommes intéressés. Dans une interview à cœur ouvert, l’ancien ministre de la Défense et des Anciens Combattants s’est prononcé sur l’état de santé de sa formation politique, l’UDD ; la gestion de la transition ; les réformes politiques et institutionnelles ; la question de l’organe unique de gestion des élections ; la question de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation nationale ; la question de la Réconciliation nationale. Aussi, a-t-il insisté sur la nécessité de soutenir la transition, mais à condition que les autorités travaillent dans la concertation et dans l’inclusion.
Lisez l’interview !
Le Pays : Comment va l’UDD ?
Tiéman Hubert Coulibaly
L’UDD se porte très bien, et de mieux en mieux. Nous poursuivons notre travail d’implantation et de consolidation de nos forces sur le terrain. Je reviens d’ailleurs de Mopti où j’ai séjourné la semaine dernière dans le cadre de la conférence des jeunes et des femmes de cette région. Nous en avons profité pour valider un certain nombre de procédures que nous avions lancées pour renforcer la cohérence entre l’UDD et ses partenaires, sur le plan politique, dans le monde des associations. Vous savez que les dernières élections nous ont révélé qu’il y avait un certain nombre de soucis sur le processus et la conduite des cycles électoraux dans notre pays. Nous en apprenons des leçons. Nous savons que cela nous oblige non seulement à conduire un travail sur le plan législatif, sur le plan réglementaire, mais aussi le plan politique. Nous devons faire en sorte que les organisations politiques : partis ou associations qui ont décidé de se mettre ensemble tel que nous dans le cadre de l’ARP, fassent un travail de mise en cohérence, faire un travail de construction de passerelle entre ces forces à la base. Nous avons fait cet exercice dans la région de Koulikoro, nous l’avons fait dans le district de Bamako. Nous le lançons dans la région de Mopti et nous avons un programme sur la région de Ségou. Tout cela pour que, à la base, les partis et les associations apprennent à travailler ensemble ; mettre toutes les intelligences en branle sur le plan des projets au niveau local, et remonter ces idées au niveau national afin d’être prêts avec un projet dans les mois à venir à proposer aux Maliens.
Tiéman Hubert Coulibaly est une personnalité très bien connue. Vous avez été ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale sous la transition en 2012. Vous avez également été plusieurs fois ministre sous le Président IBK. Aujourd’hui, le Mali traverse une période très difficile. La situation semble dépasser les autorités de la transition qui sont, de nos jours, dénoncées par certaines organisations pour la « non-inclusivité » dans la gouvernance. Vous, en tant que président de l’UDD, qu’en pensez-vous de la gestion du Mali sous cette transition ?
Aujourd’hui, la transition doit être aidée, nous devons la soutenir. Mais ce soutien ne peut être efficace que s’il y a concertation et inclusion. Le Mali n’a jamais été autant divisé sur le plan politique. Nous sommes en crise depuis plusieurs années. Certains datent la crise à 2012. Moi, je la date avant. Il faut aller jusqu’en 2006, au mois de mai, quand il y a eu certaines attaques sur nos dispositifs militaires au nord. Et cela a provoqué une descente progressive aux enfers de notre pays. Notre unité est ébranlée. Même s’il y a eu beaucoup d’efforts pour maintenir l’économie avec un taux de croissance qu’on peut analyser d’une certaine manière, il demeure clair que le pays est en panne depuis plusieurs années.
Cependant, les actions qui ont été menées ont apporté quelques résultats, mais qui ne sont pas suffisants pour faire face à tous les défis. Donc, il faut soutenir cette transition, mais il faut que les autorités de transition se convainquent que le succès dépendra largement de leur capacité à conduire les concertations sincères et à inclure le maximum de force politique dans ce processus-là. Il y a des réformes à faire, et ces réformes, les autorités ne peuvent pas les faire toutes seules. Elles ne peuvent pas choisir une démarche univoque et espérer avoir des adhésions. Il faut concerter, il faut préparer ensemble, il faut inclure. Tel est mon point de vue concernant la conduite des affaires de la transition.
La situation actuelle du Mali n’est pas rose. Qu’est-ce qu’il faut pour sortir de cette crise ?
Il faut pacifier le pays. Il faut le pacifier parce que nous sommes en guerre. Nous sommes en guerre contre le terrorisme ; en guerre contre les narcotrafiquants. Il y a aussi des groupes confessionnels qui s’opposent à la République. Mais nous sommes en guerre un peu contre nous-mêmes aussi, parce qu’il y a un changement qu’il faut introduire forcément dans la manière de gérer le pays, dans la gouvernance. Et cette guerre contre nous-mêmes, contre nos anciennes habitudes qui ne sont pas efficaces, contre un ordre qui n’a pas pu apporter les résultats attendus des années, est une réalité. Trois coups d’État en 29 ans, ça veut dire qu’il y a un souci dans la construction démocratique au Mali. Lucidement et objectivement, il faut analyser en sortant de l’invective, en sortant de l’accusation portée les uns contre les autres. Ce qui n’a pas marché, il faut l’analyser froidement et tracer une voie nouvelle avec, peut-être, des éléments nouveaux qui sont susceptibles d’apporter satisfaction.
Je dis aussi que notre pays doit être modernisé. Il doit être modernisé sur le plan de la gouvernance ; il doit être modernisé dans l’approche de la prise en charge des nécessités territoriales ; il doit être modernisé dans son système éducatif, parce que notre échec est, en grande partie, l’échec de l’éducation ; il doit être modernisé sur le plan économique. Nous devons inclure le changement positif dans nos écoles, dans nos administrations, dans notre manière d’organiser l’outil de production nationale afin que le Mali se modernise. Il faut que nous sortions d’un système un peu désuet. Comme j’ai l’habitude de le dire, notre économie a une structure archaïque. Il faut la moderniser au moins de pistes d’accélération de la croissance économique qui sont mises à dispositions, notamment par les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle.
Quelles sont les visions de l’UDD sur les réformes politiques et institutionnelles tant réclamées par les Maliens ?
Ces réformes sont nécessaires. Tout le monde le sait. Et leur nécessité a été révélée depuis très longtemps. Il faut que nous nous entendions sur la manière de faire. Cependant, nous avons perdu beaucoup de temps. Les autorités de la transition sont attendues sur ce chantier. Moi, j’observe que nous parlons plus de ce sur quoi nous ne sommes pas d’accord que de ce sur quoi nous sommes d’accord. La logique veut que quand nous ne sommes pas d’accord sur un ensemble de choses, nous pouvons les garder pour un temps propice à la concertation et partager, mais tout en exécutant ce qui est accepté. Ça nous permet de gagner du temps. Tant que nous resterons à nous poser des questions comme : « est-ce que la transition a la compétence, la légitimité, le temps de faire telle ou telle réforme ?», nous ne ferons rien. Il y a des chantiers qui doivent être ouverts. Aux autorités de la transition, je demande de faire le choix de l’efficacité en procédant, encore une fois, à des concertations réelles, sincères et en procédant à une inclusion de l’ensemble des sensibilités pour que nous puissions réaliser ce qui est nécessaire à réaliser pendant cette période.
Lors de vos présentations de vœux de Nouvel An, il y a deux mois, vous avez proposé la proportionnelle pour les élections législatives. Pourquoi ?
J’ai dit que notre préférence, à nous, c’est d’aller à la proportionnelle. Cela est constant depuis très longtemps, parce que nous estimons que le scrutin proportionnel apporte de la justice électorale. C’est vrai qu’il a aussi ses faiblesses, mais aujourd’hui, au Mali, il est nécessaire d’induire de la justice électorale et le scrutin proportionnel sera certainement un point de passage afin que le maximum de sensibilités puisse s’exprimer à l’Assemblée nationale. Donc, nous militons pour ce scrutin proportionnel. Nous avons dit aussi qu’il faut aussi interroger la manière de gérer le contentieux électoral dans notre pays, concernant la Cour constitutionnelle par exemple. Nous avons dit qu’il faut s’interroger sur le rôle de l’administration dans la conduite et la gestion, notamment postélectorale. En cela, l’agence unique de gestion des élections est la voie.
Justement. Est-ce que la création de cet organe unique de gestion des élections est possible pendant la transition, puisque le Premier ministre a même soulevé la question de la contrainte du temps ?
Mais c’est une mission que nous demandons au gouvernement de transition de prendre en charge. Maintenant, s’il y a des difficultés objectives de nature politique ou technique, il faut les montrer afin que l’ensemble des forces nationales puissent se déterminer. Mais une seule partie ne peut pas dire qu’il est impossible de faire ceci. Il faut dire pourquoi et en débattre. Si techniquement, nous ne pouvons pas ; si politiquement il y a des difficultés, il faut en connaitre. Depuis plus de dix ans, nous savons que c’est un outil qui pourra nous mettre d’accord sur un certain nombre de difficultés à régler concernant la gestion des élections dans notre pays.
L’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger suscite des débats au Mali. Pendant que certains réclament sa mise en œuvre, d’autres revendiquent sa relecture. Vous à l’UDD, quelle est votre position ?
Il faut mettre en œuvre l’accord. Je rappelle que c’est un projet politique majeur dans notre pays. C’est vrai, il y a des difficultés pour sa mise en œuvre. Tout le monde parle de la nécessité de relire l’accord. D’ailleurs le Dialogue National Inclusif en parle. Ses résolutions et recommandations existent et on peut leur faire recours. Je dis que la polémique de la relecture ou la non-relecture n’a pas raison d’être dans la mesure où l’accord, lui-même, en son article 65, a prévu un dispositif de relecture. Ça veut dire que dès le départ, dans l’esprit de l’accord, il était bien admis qu’il pouvait y avoir relecture. Donc il ne faut pas se battre sur ce qui est accepté. J’observe que pendant que nous faisons ce débat, la mise en œuvre est un peu ralentie. Il faut continuer la mise en œuvre. Je rappelle que l’Accord pour la paix et la réconciliation comprend une annexe 3 qui donne un peu une liste de prises en charge d’urgences économiques qui pourront, peut-être, permettre la création d’un espace de prospérité dans les régions les plus frappées par la crise. Il faut mettre certaines dispositions de l’annexe 3 en œuvre pour que les populations sachent qu’il y a une perspective nouvelle qui est possible sur le plan économique. Le cœur de la paix, c’est l’économie. En mettant en œuvre certaines dispositions de l’annexe 3, que la souveraineté économique de notre pays reprenne sa place sur l’ensemble du territoire. L’article 65 permet la relecture de l’accord. Arrêtons donc le débat et allons-y à cette relecture entre les partenaires à la paix qui sont le gouvernement du Mali, les mouvements signataires et la communauté internationale avec pour seul objectif la préservation de l’unité nationale. Mais pendant ce temps-là, continuons la mise en œuvre de l’Accord, surtout l’annexe qui est un document assez intéressant par rapport aux perspectives économiques nouvelles capables de renforcer et d’accompagner les forces politiques, y compris les efforts militaires dans notre pays.
Que faut-il, selon vous, pour la réussite de la réconciliation nationale et le vivre ensemble entre les populations, notamment au centre du pays ?
L’action militaire ne suffit pas ; l’action politique ne suffit pas ; l’action humanitaire ne suffit pas ; il faut mettre tout cela ensemble, mais tout en pensant aux aspects économiques. Il y a un grand danger à ce que l’instabilité dure dans le centre du Mali qui est une zone de production économique. Aussi, les communautés qui s’affrontent doivent savoir qu’elles ont un ennemi commun. Et tant que cet ennemi ne sera pas désigné clairement, l’entreprise qu’il a engagée pour mettre dos à dos des communautés qui ont vécu pendant des siècles, qui se sont aimées, qui ont vécu en tant que concitoyens, nous ne pourrons pas aboutir à une paix durable. Cet ennemi commun, c’est le terroriste, c’est le trafiquant de drogue. Cet ennemi commun, c’est celui qui veut abattre la République pour mettre à sa place un système de gouvernance basé sur l’économie illicite et puis une vision qui n’est pas la nôtre. Ces communautés doivent se rendre bien compte qu’entre elles, il y a un ennemi commun. Personne, ne pourra me convaincre de ce que des ethnies du Mali puissent en arriver à se détester au point de jurer la perte de l’une ou de l’autre. Aujourd’hui, nous faisons face à un phénomène qui procède d’un projet politique clair dont l’objectif est de faire du Mali un territoire à la merci de forces négatives qui, à partir de ce pays, peuvent menacer l’ensemble de l’Afrique de l’ouest. Tous ces phénomènes nous arrivent parce que nous avons échoué à prendre en charge des problèmes du monde moderne, de l’État postcolonial. Et l’ennemi profite de tout cela pour mettre dos à dos les communautés qui ont vécu toujours ensemble.
Malgré ces difficultés, à Bamako, nous sommes dans le commentaire, dans la description négative des choses, dans une guerre de positionnement. On parle d’homme, on parle de groupe d’hommes, on parle d’élections, de postes à pourvoir, personne ne parle du projet. Mais il faut qu’on travaille sur le projet. C’est cela qui intéresse le peuple malien et c’est cela qui intéresse ceux du centre qui attendent de l’ensemble national une posture propre à les sortir de cette situation.
Réalisée par Boureima Guindo